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Les caprices de Cendrine
16 octobre 2009

Sein. Dans le vent de l'Histoire

Passé le houleux raz de Sein, petit à petit, elle apparaît. Récif maigre et venteux, sculpture usée de l'horizon, elle est un miracle. Une île sauvée des eaux. «Tous les enfants de l'île de Sein devraient avoir en deuxième prénom, le nom de Moïse!», faisait dire HenriQueffélec à son recteur.

Cinquante-six hectares, dont certains en dessous du niveau de la mer, un point culminant à 5,50m, 1.300habitants jusque dans les années 60, une centaine en plein hiver. Cette île au nom maternel, mille fois aurait dû disparaître. Résistante et fragile, toute petite et hors norme... «Sur les îles, tout pousse à l'extrême», explique le géographe Louis Brigand. Ici, pas de plan d'urbanisation, de cadastre ou d'impôts depuis le temps de Louis XIV qui aurait déclaré: «Autant imposer la mer, les tempêtes et les rochers». L'île de Sein a le privilège d'avoir l'eau la plus chère de France et une conscience aiguë des problèmes environnementaux. Ses habitants, avant-gardistes, consomment trois fois moins d'eau que sur le continent et connaissent la valeur de chaque galet qui les protège. Sur cette île sans arbre, une fleur poussée est déjà une victoire. C'est une île, à l'image du monde beau et fragile. Une chance, à la mesure de l'essentiel.

1976: «Englués, une cagoule de mazout à la place de la tête»

Aujourd'hui, les deux quais sont inondés d'une lumière bleue transparente. François Spinec, patron du bateau de sauvetage, l'un des deux derniers marins îliens, attend. Pêcheur «pas stressé», «effaré» par la vitesse du continent, il ne lit l'heure qu'avec les marées. Pour lui, qui est né en 1946, vivre sur une île n'est pas vivre hors du monde. Au contraire, il se dit plus attentif. Lire un journal est un acte sacré. Il n'imagine pas vivre ailleurs, et pourtant se dit nostalgique du temps de son enfance. Gamin, il a grandi entouré de 360marins et rêvait devant les 50 bateaux de pêche. Mais il y a eu «l'exode de la coquille», attirant les familles sur le continent. «Tout le monde en avait marre de jeter son pot de chambre par-dessus la cale du port». Pourtant, «nous avions tout». Marin de commerce entre 15 et 20 ans, François a fait le tour du monde et en a gardé le goût. À Cuba, en avril1961, en pleine guerre froide, il était dans la baie des Cochons lors de la tentative d'invasion militaire des Américains. Ou encore à Tokyo, en 1964, lorsque le cavalier Pierre Jonquières d'Oriola a emporté la seule médaille d'or française. À l'Abri du marin sur l'île, il se rappelle l'excitation de tous et l'éternelle déception quand la seule télé îlienne s'éteignait à22h. Mais l'événement qui l'a le plus frappé reste le naufrage du Böhlen, en 1976, et les deux survivants qu'il a pu sauver. «Je garde une vision d'apocalypse, celle de deux hommes englués, avec une cagoule de mazout à la place de la tête. La mer était noire, et dans le ciel, il y avait des nuées de corneilles. Je n'avais jamais rien vu de tel. Là, le monde nous a oubliés», s'émeut-il. Pour ne rien oublier, dans le joli musée de l'Espérance, Marie-Thérèse Coatmeur et Jeanne Millimer sont gardiennes de mémoire. Nées en 1931 sur l'île de Sein, elles partagent tout, même Le Télégramme «pour les mots croisés».

18juin 1940: Minette avait mis le poste de radio sur le bord de la fenêtre...

L'appel du général De Gaulle, le 18juin 1940, fait partie de leurs vies. Devant les nombreuses photos, elles se rappellent du jour où Minette avait mis le poste de radio sur sa fenêtre pour que tout le monde entende. Marie-Thérèse avait un oncle, un vrai «frère», Guénolé, de sept ans son aîné. Le 24juin 1940, date du départ des 126 Sénans pour l'Angleterre -ce qui fera dire au général que «l'île de Sein est donc le quart de la France!» -, était le jour de ses 16 ans. «Sa mère avait fait un bon repas et Guénolé n'arrivait pas. Je me souviens encore de ses pleurs quand elle a su, par son mari, que son fils avait rejoint le Français de Londres». Jeanne, elle, se remémore, «comme si c'était hier», l'embarquement de son père sur la chaloupe au bout du quai, avec juste une boussole à la main. Pour elles, l'histoire de Sein ne doit pas s'arrêter là, et il y a un homme nouveau, plein de projets. «Vous allez voir, Jean-Pierre, c'est quelqu'un!». Dans la salle du conseil sous le tableau du général et les nombreuses décorations, Jean-Pierre Kerloc'h, le nouveau maire, élu en mars2008, la veille de la tempête qui a fait passer la mer par-dessus les toits, a commencé son mandat avec des seaux et des pelles. Après 32 ans «de bons et loyaux services» dans les transmissions de l'armée de l'Air, Jean-Pierre ne se sent pas hors du monde, mais tient à rester vigilant. «Je sens une certaine agressivité de la part du continent. À l'heure de la mondialisation, il est difficile de garder sa spécificité». Pour lui, l'événement le plus frappant de ces dernières années est internet. «Il y a 50 ans, nous n'avions pas d'électricité, et aujourd'hui, je peux communiquer avec le monde entier. Internet, pour l'île, c'est un souffle nouveau, permettant à de nouvelles familles de venir s'installer».

11septembre 2001: «Il faisait beau le bain de mer était trop tentant...»


À l'hôtel Armen sur la route du phare, «le dernier avant l'Amérique», Dominique Fouquet tousse et se demande, comme tout le monde, si elle n'a pas la grippe A.Revenue sur son île il y a douze ans, elle se souvient de ce 11septembre 2001. Il faisait un temps splendide et Dominique avait enfin trouvé le temps de se baigner. «Je marchais avec ma serviette quand j'ai rencontré un ami, affolé. ?C'est la guerre!?, m'a-t-il dit. Ils attaquent l'Amérique, NewYork!». À nouveau seule dans le silence, Dominique ne sait pas quoi faire, le bain est trop tentant et pour l'Amérique, elle ne peut rien. Dans l'eau, elle ressent comme une onde, une sensation, et avec horreur se souvient qu'elle est «dans la même eau qu'eux». NewYork, qu'elle adore, est là, juste en face et son hôtel est bien le dernier avant l'Amérique. Cette constatation qui l'amusait ne l'a plus fait rire pendant au moins six mois. «Je suis rentrée et je l'ai effacée de mon enseigne». Yann et Tiki, deux enfants de l'île à la bonne mine et au sourire éclatant, passent à vélo sur la côte, près du phare. Avec des grands-parents îliens, quand ils seront grands, ils seront marins pêcheurs «à l'île de Sein!». Didier-Marie Le Bihan, le père de Yann, correspondant du Télégramme et peintre reconnu, se souvient de la réaction de son fils, quelques jours après ce 11septembre. «On ramassait des vers près du phare, quand on a vu un porteur de la Marine nationale rasant l'eau. Yann a eu un moment de panique. Avec la perspective, il a cru que l'avion allait percuter le phare...» Pour lui, l'île est un cocon à l'abri de rien. «L'extérieur entre chez nous grâce aux médias et parfois, les événements se juxtaposent». En décembre2004, lors du tsunami en Asie ou récemment, en voyant les vagues indonésiennes, les enfants compatissent. Et si, ici, aussi...? Heureusement, Tiki, «Dieu de l'amour» en Asie, a une solution: «Avec mon bateau, je sauverais tout le monde!».

article du Télégramme.le 16/10/09 edition 20.000

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Commentaires
M
je comprends bien pourquoi c'est ton petit paradis
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C
merci..<br /> j'y étais le temps d'une lecture..tiens c'est malin..je pleure....
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B
Merci pour ce joli post sur cette île!!
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A
très bel article !!!!!!!!!! ça donne envie d'y aller aux prochaines grandes vacances !<br /> bizzzzzzzzzzzzzzzzz
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